Ma théorie perso, ça vaut ce que ça vaut, et après tout restons curieux, c’est que ceux qui écrivent les articles ou réalisent les vidéos traitant de pseudo-archéologie (ou d’histoire, parce qu’avec eux le résultat est généralement le même), sont d’anciens maîtres de jeu de Donjons & Dragons.
Si, si, c’est très sérieux. Ne riez pas.
Pourquoi ? Eh bien, comme je le détaillerai dans mon documentaire de 53 heures financé à hauteur de 120 millions d’euros et qui sortira en août 2040 promis-juré-wallah ; je pense que c’est la seule hypothèse qui puisse expliquer que ce genre d’articles de merde puisse entasser en un seul paragraphe autant de mots découlant du champ lexical de l’ésotérisme de troisième zone.
En l’occurrence, c’est Daily Geek Show qui s’y colle et ce qui m’a tapé dans l’œil, c’est que la liste de sites « mystérieux aux sombres origines » qu’ils présentent sort un peu de l’ordinaire. Or, dans ce milieu, une des principales règles, c’est de recycler le contenu de site internet en chaîne YouTube jusqu’à l’écœurement et même au-delà.
Donc, nous voilà parti pour cinq sites « secrets inexpliqués et même maudits sur cinq générations« , Sergio, à toi la parole.
Qu’est-ce qu’il dit, cet article ?
1. Teotihuacán, la cité des dieux
… et accessoirement capitale de l’empire précolombien qui l’a construite et habitée entre le IIIe et le VIIe siècle, avant de devenir un piège à turistas.
MAIS, ils nous disent que « Ses origines restent encore un mystère : personne ne sait quelle civilisation l’a construite, qui l’a habitée ou encore pourquoi ils ont tous disparu avant que les Aztèques arrivent. », lesquels auraient trouvé une cité vide mais déjà vieille de 500 ans!
2. L’œuvre des Anciens
Hem. C’est… « une série de structures imposantes mais seulement visibles depuis le ciel, situées dans les régions désertiques de Syrie, de Jordanie ou encore d’Arabie Saoudite. Repérées par un pilote d’avion, ces traces à moitié circulaires sont un peu le penchant arabique des fameux géoglyphes de Nazca« , et, oui, c’est aussi flou que ça en a l’air vu que le « journaliste » qui a pondu ça ne s’est même pas donné la peine de donner un nom, juste un point dans Google Maps. Il précise tout de même que « les bédouins qui vivent dans les environs ont décrit ces cercles impressionnants et mystérieux comme étant l’œuvre des anciens ». Bref, il nous faudra partir du principe qu’ils parlent des géoglyphes au sens large.
3. La structure sous-marine dans un lac d’Israël
Dans le lac de Tibériade, « deux scientifiques » (ils ne devaient pas avoir de nom, ça arrive) ont fait la découverte par sonar d’une « structure apparemment rocheuse » : une sorte de grand disque de 50 mètres de diamètre.
D’abord interprété comme un genre de poêle à frire des Zanciens Bâtisseurs, en fait on s’est aperçu que c’était un tumulus. Ceci dit, le doute subsiste, car les scientifiques ne comprendraient pas d’où il sort et qu’il serait âgé « jusqu’à 12 000 ans ».
4. Nan Madol
Une vieille ruine sur l’île de Pohnpei, en Micronésie, dans la grande diagonale du rien du tout, entre les Marshall et les Carolines. Ce site consiste en une série d’îlots artificiels ; jusque là rien de bien formidable, ce pourquoi il a fallu en rajouter des caisses, jugez un peu : « Mais au-delà de la beauté, il semble y avoir une malédiction qui plane au-dessus de l’ancienne cité puisque les habitants de la région refusent même d’en parler. Ce ne sont donc pas eux qui nous en apprendront plus sur Nan Madol, et c’est bien dommage puisque les archéologues n’ont toujours aucune information » et gnégnégné, je vous épargne la suite. Pour donner un peu plus de consistance à ce numéro de sensationnalisme qui ferait honte à une animation commerciale de supermarché, ils rajoutent quand même qu’il y a des mégalithes de 50 tonnes et que, forcément, « comankyzonfé pasque c’tro lour » ™.
5. Le Cercle de Goseck
Un site historique de la province allemande de Saxe-Anhalt, mis au jour en 2003 lors de prospections aériennes et constitué de trois cercles concentriques construits en terre et bois, avec un poteau au milieu… qui servirait de cadran solaire.
Et alors là jefe, je vous avouerai qu’il faut y mettre du sien pour trouver la part de mystère dans ce truc, parce que même eux précisent que d’après les travaux menés sur ce site, il possédait des fonctions « agricoles et communautaires, bien que la dimension religieuse était, selon lui, indissociable du reste« , et à part ça… rien de spécial.
Mais alors, qu’est-ce qui ne va pas là-dedans ?
« Les mystères qui entourent ces découvertes archéologiques nous font un peu froid dans le dos. Mais découvrir de tels monuments et ne pas savoir d’où ils viennent est vraiment une chose fascinante. Au bureau, les théories les plus folles ont alimenté nos conversations pendant deux jours ! On espère qu’un jour la science pourra expliquer… «
AH, LA FERME !
C’est ça, ce qui ne va pas ! Cette surenchère permanente de vocabulaire ronflant pour donner l’impression au lecteur qu’il reçoit un secret digne d’un treizième commandement, en restant le cul vissé sur son canapé ! Parce que dans cet article, sur cinq sites composant leur liste, il y en a déjà au moins trois qui n’ont absolument rien de si fascinant : tout le côté « mystérieux et inexpliqué » vient de la façon dont ils les présentent, et rien d’autre.
Alors penchons-nous sur la question : qu’est-ce que dit réellement la recherche scientifique sur ces cinq sites ?
1. Au sujet de Teotihuacán, il se trouve que ses origines sont certes mal connues, mais elles ne sont pas mystérieuses à ce point-là et contrairement à ce qui est dit, on sait très bien qui vivait là.
Pour vous la faire courte, l’histoire de la Mésoamérique est divisée en trois ères, préclassique, classique et postclassique ; et le préclassique, qui a vu l’émergence de Teotihuacán, s’étale de – 2500 avant notre ère jusqu’au IIIe siècle après J.-C. A cette époque, cette région de l’Amérique centrale était peuplée par une ribambelle de peuples de langue nahuatl et de cultures archéologiques variées, dont la plus grande était celle des Olmèques et qui est considéré comme le premier proto-état de ce continent. Elle a prospéré jusqu’au Ve siècle avant notre ère, où elle s’est divisée et dispersée en une myriade d’autres peuples, ce qui est très commun sur le continent américain : l’empire Inca, au Pérou, était lui aussi constitué sur une fédération de peuples soumis.
Bref : c’est à cette période où les peuples mésoaméricains fourmillent dans la région que Teotihuacán a été construite, parce que pour autant qu’on le sache, ces derniers fonctionnaient selon un modèle apparenté à une cité-état, ou a un petit royaume, qui commerçaient entre eux quand ils n’étaient pas occupés à se tirer dans les pattes. Le problème, c’est que nous ignorons le nom que se donnaient les premiers habitants de Teotihuacán, parce que nous ne l’avons pas (ou pas encore) retrouvé, et ce même si l’on est à peu près certain que c’est un des peuples issus des Olmèques qui l’a construite et que l’on croule sous les vestiges archéologiques, notamment céramiques.
Le mystère en prend donc un sacré coup dans les roustons, mais signalons aussi que Teotihuacán-la-cité-mystérieuse-maudite-par-le-dragon-noir-gnégné n’était pas LA cité mais UNE cité : dans la même aire, on peut citer en effet les villes de Monte Albàn ou de Cuicuilco à la même époque, sachant que c’est la violente destruction de cette dernière par l’éruption du volcan Xitle (une calamité récurrente dans la région) qui a probablement boosté l’économie de Teotihuacán en voyant arriver des hordes de réfugiés chez elle.
Teotihuacán n’est pas la seule, d’ailleurs, à bâtir des pyramides à l’époque : comme c’est expliqué ici, il existe d’autres sites comme Kaminaljuyú au Guatemala ou Tlapacoya au Mexique, où l’on édifiait des structures semblables à la même époque.
2. L’œuvre des Anciens
Ok alors, « l’oeuvre des Anciens », ça a un nom, et ça s’appelle un GÉOGLYPHE. Ce sont des dessins formés à même le sol en entassant des cailloux, ou à l’inverse en creusant, généralement dans de grandes dimensions parce que c’est destiné aux dieux.
Ça ne nécessite donc absolument AUCUNE compétence particulière et pratiquement aucun matériel excepté quelques pelles ; si vous êtes un ou une habitué(e) de Scientos, vous savez que je me suis déjà looonguement étalé sur les géoglyphes de Nazca, qui reviennent régulièrement dans le spectacle comique de Patrice Pouillard.
Mais en réalité, on en trouve un peu partout sur la planète, comme vous pouvez le constater sur cet atlas non exhaustif ; ci-contre par exemple en Californie, laissé par les tribus Mojave.
Ou encore ci-dessous, au Royaume-Uni:
Mais revenons à nos grands anciens : la série de cercles à même le sol mentionné très vaguement par cet article se situe à Al-Azraq, en plein milieu du désert jordanien. Et comme c’est expliqué ici, les badauds du coin n’ont pas appelé ça « l’oeuvre des anciens » mais « l’ouvrage des vieux hommes« , comme quoi le choix des mots à son importance puisqu’on vient passer du « Temple de Cthulhu » à « la bicoque du pépé » en l’espace de quelques syllabes.
Formulations putassières mises à part, ce que Daily Geek Show « oublie » de préciser, c’est que ces structures, qu’on retrouve un peu partout dans le désert Jordanien, notamment à Wadi Wisad, quelques centaines de kilomètres plus à l’est, ont été étudiées de près en faisant l’objet d’une campagne de fouilles. Vous avez donc leur version : « les scientifiques n’ont aucune explication concernant l’origine de ces traces dans le désert. Personne ne sait qui les a réalisés et dans quel but. »
Et ensuite, vous avez la vraie version, rapportée ici par le Daily Mail, qui publiait en 2015 un résumé de la fouille menée par une équipe de chercheurs du Eastern Badia Archaeological Project. Ces structures ont été datées par luminescence du VIIe millénaire avant notre ère, soit la dernière phase de la Préhistoire dans cette région, et trouvées en lien avec d’autres structures, d’habitation cette fois.
Ces structures circulaires dans le désert « sont simples dans leur forme et plutôt grossières d’après les standards géométriques, elles contrastent fortement avec d’autres roues qui semblent avoir été conçues avec une plus grande attention aux détails comme on le retrouve dans les lignes de Nazca. Il est possible que des roues différentes aient eu une utilisation différente […] la présence de cairns suggère un lien avec des inhumations, étant donné que c’était souvent la façon de faire lorsque quelqu’un décédait […] il y a d’autres roues où les cairns sont totalement absents, ce qui suggère une utilisation différente« , dixit Gary Rollefson, professeur au Whitman College et directeur de l’étude.
Bref, si il est encore un trop tôt pour être certains de leur utilisation, vous aurez tout de même saisi que ces géoglyphes sont bien moins énigmatiques que ce qu’on a prétendu.
3. La structure sous-marine dans un lac d’Israël
ENSUITE. Le tumulus dont « les scientifiques n’arrivent toujours pas à comprendre d’où peut venir ce monument englouti« , c’est une structure observée au sonar en 2003 par deux géophysiciens israéliens qui prospectaient les rives du lac de Tibériade.
Ça ressemble à ça, et c’est effectivement un tumulus relativement conique constitué de blocs de basalte non taillés mesurant jusqu’à 1 mètre de diamètre ; et l’International Journal of Nautical Archaeology a publié en 2013 les résultats de la plongée qui a été faite pour aller observer ça de plus près.
Vu sa forme et sa composition, il ne fait aucun doute que son origine est donc artificielle et qu’elle est attribuable à la période de la fin du néolithique dans cette partie du monde, soit du IIIe millénaire avant notre ère. En particulier parce que d’après le professeur Yitzhak Paz, de l’Autorité israélienne des antiquités et de l’Université Ben-Gurion, il y a beaucoup de sites mégalithiques ou/et préhistoriques dans cette région :
… et que ça ne serait pas la première ni la dernière fois que des structures construites sur les rivages d’un fleuve, d’un lac ou d’une mer finissent par se retrouver sous la flotte à la faveur d’une montée des eaux ou du changement du profil du littoral, ou de celui d’un fleuve.
4. Nan Madol
La « Venise du Pacifique » ?
Bon, c’est un site mégalithique situé au milieu de l’océan, à l’est de la Micronésie et au sud-est de l’île principale de Pohnpei, et qui se situe sur la route des mouvements de peuplements de ces archipels océaniens : cette région du monde a été occupée par des hommes depuis 1600 avant notre ère au maximum, et l’île a été colonisée à son tour entre 80 et 200 de notre ère.
Et contrairement à ce que dit l’imbécile qui a pondu cet article (« c’est bien dommage puisque les archéologues n’ont toujours aucune information concernant les origines de la ville à l’heure actuelle !« ), les archéologues étudient depuis longtemps ce site, et non seulement il a été daté avec précision, mais comme c’est rapporté ici par la revue Quaternary Research, on a trouvé la source des blocs de basalte utilisés pour le bâtir. Des hypothèses ont également été proposées concernant la fonction de Nan Madol, qui semble avoir été un centre administratif doublé d’une fonction funéraire, car on y trouve bon nombre de sépultures royales de la dynastie micronésienne des Saudeleur.
Là encore, le mystère se volatilise dés qu’on se penche dessus et en ce qui concerne la pseudo-malédiction qui est censée planer sur ce site, il va de soi qu’on n’en trouve aucune trace nulle part, mais est-ce surprenant ?
5. Le Cercle de Goseck
Je me suis peut-être avancé trop vite plus haut ; admettons qu’un cadran solaire géant, c’est tout de même moins commun comme site archéologique qu’une ferme à la con ou une fosse.
Mais on cherche quand même en quoi ce site est si mystérieux que ça : aucun mégalithe, pas de forme particulières, et il n’est même pas sur le tracé d’un équateur penché, c’est un comble !
Comme je l’ai dit plus haut, le cercle de Goseck est fait de deux enceintes concentriques, qui ont été reconstituées après la découverte et la fouille du site en 2003. Aujourd’hui, ça ressemble à ça, et on pense qu’il s’agissait d’un site destiné à l’observation astronomique/astrologique, car le positionnement de ses trois entrées coïncide avec le lever et le coucher du soleil lors des solstices d’été et d’hiver ; un phénomène bien connu et observé depuis la nuit des temps par les populations néolithiques, ne serait-ce qu’à des fins agricoles. On l’a daté de -4800 avant J.-C.
Et c’est tout.
- Comment ça jefe, il n’y a rien de plus étrange ?
Bah, non. Je sais, c’est tout naze et ça fait l’effet d’un pétard mouillé, mais eux-mêmes ne précisent pas ce que ce site peut avoir qui justifie le « froid dans le dos », et sa présence dans leur liste. Mais ce n’est pas très difficile de deviner que dans la tête du type chargé de pondre cet article sur l’heure de sa pause-déjeuner :
Allez, à un de ces quatre !
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Biblio:
CASSEN Serge, GRIMAULT Valentin, OBELTZ Christian, Architectures monumentales néolithiques submergées en Morbihan, in Les Nouvelles de l’Archéologie, 2019.
DARRAS Véronique, La Mésoamérique précolombienne. Historiens et géographes, Association des professeurs d’histoire et de géographie, 2000.
BLANTON Richard , KOWALEWSKI Stephen, FEINMAN Gary, APPEL Jill, Ancient Mesoamerica: A Comparison of Change in Three Regions, 1993 .