Tiens, ça faisait longtemps que je n’avais pas parlé de Planète RAW !
Vous savez, le gars qui tient une agence de vacances pour pyramidiots ? Et qui nous avait gratifié de vidéos d’une stupidité crasse à propos des colosses de Memnon et de l’obélisque inachevé d’Assouan.
Qu’est-ce qu’il raconte de beau ? Eh bien, toujours autant d’imbécillités si l’on en croit sa chaîne YouTube, qui regorge de miniatures qui mettent tout de suite dans l’ambiance :

Comme tout bon pyramidiot qui se respecte, il n’a évidemment jamais voulu répondre à ses contradicteurs, ni s’expliquer sur la ribambelle de mensonges et d’erreurs monumentales qui parsèment ses vidéos, préférant investir son temps à en produire toujours plus sous couvert d’histoire « alternative« , parce que la devise du bon complotiste, c’est que vous pouvez raconter absolument n’importe quoi, ça sera forcément légitime puisque c’est ALTERNATIF, et je ne parle pas de prises de courant !
Pour en avoir parcouru quelques-unes, c’est toujours du bon RAW comme on l’aime, à savoir consternant de sensationnalisme de supermarché et de raccourcis; et je me suis dit qu’il y en avait une qui valait bien le coup de passer au lance-flammes du Sapeur !
Eh bien oui, l’Atlantide ! Encore et toujours l’Atlantide, et profitez que je n’en aie visiblement pas encore marre de parler de ce mythe, parce que je sens qu’au fur et a mesure de l’article, ça ne va pas tarder a venir ! C’est parti !
Voici donc Jan Niedbala (décidément, je ne m’y ferai jamais) qui explique que l’Atlantide, blablabla, c’est une légende très célèbre et très populaire dans les « cercles de passionnés« , blabla, que les médias lui consacrent de temps en temps un film ou une émission, et qu’il souhaitait nous parler d’une « nouvelle piste de réflexion » venue de la bouche d’un certain Athanasius Kircher.

Topo rapide, Athanasius Kircher était un jésuite allemand qui touchait un peu à tout au XVIIe siècle, époque où « polyvalent » ne désignait pas une excuse à la con pour faire faire vos courses et la vidange de la voiture au stagiaire de la boîte, et qui, entre deux travaux de médecine, de mathématique et d’astronomie, écrivait des bouquins sur à peu près toutes les disciplines pour consigner par écrit son immense savoir.
Et sur les 39 livres que Kircher a laissé, il y en a un qui a tapé dans l’œil de Planète RAW, c’est Mundus Subterraneus, publié en 1665 à Amsterdam et qui traite essentiellement de géologie.
Revenons au présent : Jan nous confie qu’il s’est mis à se balader sur les forums anglophones pour faire ses recherches, et notamment sur Reddit, une méthodologie assez spéciale mais qu’il a l’air d’apprécier, parce que ces « forums (sont) moins saturés de fragiles haineux complexés par leurs vies, ces forums où la parole demeure plutôt libre et enrichissante« , ce qui peut se traduire approximativement comme suit :

Ce qui confirme au passage que quand un pyramidiot s’entend dire qu’il raconte de la merde, il préfère foncer dans le mur du biais de confirmation avec un 33 tonnes plutôt que de se remettre en question l’espace d’une seule seconde, et ce même si ça signifie aller chercher ses « théories » sur des forums où il est généralement admis que Barack Obama est un homme-lézard musulman et que Stanley Kubrick a filmé en studio l’atterrissage sur la Lune.
Il y cherche donc ses inspirations, et il se trouve qu’un certain « Jean-Michel » lui aurait suggéré l’idée d’une nouvelle piste pour la localisation du continent de l’Atlantide. Bref, et de quoi parle Mundus Subterraneus ? On s’en tape ! Oui, parce qu’il n’y a qu’une seule image dans tout le bouquin que ce mec aie retenu, c’est ça :
Et donc, Jean-Michel a suggéré à Jan que cette île décrite et peinte ici, là, en fait, elle pourrait se trouver à environ 1000 kilomètres à l’ouest des îles Canaries, au large du Maroc.

Car en effet, « en reprenant la carte d’Athanasius Kircher, et en mettant les deux cartes côte à côte, on se rend compte qu’apparaît la même forme! » (4:24)

Vous avez le droit de rigoler, surtout quand on songe que sa majesté est partie chercher la véritude sur des forums bourrés de complotistes pour au final baser l’intégralité de sa théorie sur un « en gros, ça y ressemble nan ?« , mais passons. D’ailleurs, lui-même est conscient que son idée est un tantinet bancale : « bien que la précision de correspondance ne soit pas optimale« , mais ça ne l’arrête pas, car pour lui, « les défauts topographiques correspondent à la carte réelle« .
Alors, maintenant qu’il a craché le morceau, il faut bien l’étayer un peu, parce que même pour lui, ça fait comme qui dirait un peu faible ! C’est ainsi qu’il évoque la hausse de 120 mètres du niveau des mers de la Terre, hausse consécutive à la fin de la dernière période glaciaire il y a 18 000 ans, et qui permettrait d’expliquer la submersion de ce machin, et pas la peine de lui rappeler que ladite hausse s’est faite sur des MILLIERS D’ANNÉES au rythme de quelque millimètres par an et pas à celui d’un méga-tsunami de film d’action, il s’en tape.
« Ce qui manque aujourd’hui pour étayer cette hypothèse atlante, c’est un relevé de la situation réelle en profondeur de cet îlot » (5:31), puis « si cette île était au niveau de la mer il y a 12000 ans, on aurait ici une preuve assez solide que cette carte aurait bien été transmise à travers les époques depuis un temps où les Hommes, les marins, naviguaient les océans et en connaissaient les détails« , et même :
« Mais honnêtement, quelle est la probabilité qu’une carte que l’on juge comme fantaisiste puisse placer une île ave ses deux volcans sous-marins en plein Atlantique en respectant la forme et l’aspect topographique que l’on trouve sur la carte du XVIe siècle ? » (6:02)

« Peut-être que ce site était occupé par des hommes qui étaient contemporains de ceux qui ont construit de nombreux vestiges antiques comme par exemple les Pyramides ? Et pourquoi pas ? » (6:41)
Et pour finir il cite les vestiges submergés que l’on peut trouver à proximité du Delta du Nil, et met carrément les pieds dans le plat en prêtant une ascendance atlantique au peuple Guanche, qui habitait les Canaries, prétendant que ces derniers pensaient être les derniers survivants de l’humanité sur terre, ce qui est un énorme bobard sorti de nulle part, mais c’est pas ça le plus grave.
BON.
Alors pour commencer, ce qu’il appelle un « relevé de la situation réelle en profondeur de cet îlot« , ça s’appelle de la bathymétrie, et comme vous l’avez probablement deviné, ça fait un bail que ça existe ! Ca fait depuis au moins les années 30 que des cartes des reliefs sous-marins sont tracées, toujours plus détaillées, vastes et précises au fur et a mesure des avancées technologiques. Et par exemple, chez nous c’est l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) qui s’en occupe avec des navires qui quadrillent les océans, équipés de puissants sonars. Autant dire qu’on n’a pas attendu la suggestion de cette andouille pour s’en préoccuper, et il va de soi que ça donne des résultats un peu plus clairs et détaillés que cette immonde bouillie de pixels moches qu’il a été chercher sur Google Maps !

Et que si on examine une carte bathymétrique comme celle que vous pouvez trouver ici, on s’aperçoit qu’en fait les plus hauts sommets de ce truc sont déjà à 200 mètres de fond au minimum, donc bien au-delà des 120 métres -maximum- de variation de niveau des mers; et que les 99% restant de ladite île sont à 500 mètres de fond, voire plus ! Autrement dit, quand la fin de la dernière période glaciaire a eu lieu, cette île était déjà sous la flotte !

Ensuite, môssieur Jan et sa méthodologie à géométrie variable partent joyeusement du principe que cette putain de carte a été « transmise à travers les âges », ce dont il n’a absolument AUCUNE preuve mais ça, on en a l’habitude. Le plus gros mensonge dans son discours, c’est de prétendre que cette carte bidon a été transmise il y a 12 000 ans, « depuis un temps où les Hommes, les marins, naviguaient les océans« .
Sergio, tu peux nous rappeler où en était l’humanité, il y a 12 000 ans ?

Ben oui Jan, il y a 12 000 ans, on commençait tout juste le Mésolithique ! A cette époque, les populations humaines commencent à peine à se fixer dans certaines régions et entamer une très lente transition vers la sédentarité avec le réchauffement du climat. Je schématise hein, parce que comme c’est systématiquement le cas en archéologie, la chose varie selon les zones géographiques et est sujette à tout un tas de facteurs, mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’à ce moment-là, l’humanité n’est absolument pas capable de faire autre chose que de remonter les fleuves ou caboter timidement sur de mauvaises pirogues !
En réalité, la navigation hauturière n’arrive que sous l’Antiquité et même là, il s’agit dans le meilleur des cas de trajets courts entre deux îles Méditerranéennes où l’on navigue à l’estime, et encore, avec un taux de naufrages effrayant ! Autant dire que la navigation océanique comme l’imagine Mr J’ai-pioché-mon-nom-au-Scrabble, c’est pas pour tout de suite vu que ça n’apparaît qu’à la toute fin du Moyen-Âge ! Mais excusez-le, il a dû passer une semaine à fignoler sa vidéo, ça ne lui laissait pas dix minutes pour faire une recherche sur Google sur l’histoire de la navigation ?!

Donc, pour résumer et contrairement à ce qu’il dit, les Hommes de l’époque ne naviguaient absolument pas sur les océans et même si ce truc était à l’air libre au Mésolithique ce qui n’était pas le cas, ça ne prouverait de toutes façons en RIEN que les hommes connaissaient cette île ! Et encore moins qu’on aie transmis cette carte à travers les âges !

…. c’est tout, jefe ?!
Oh non, j’ai envie d’aller un peu plus loin.
Vous qui lisez, vous le savez probablement et je l’ai moi-même répété ici de nombreuses fois, mais la légende de l’Atlantide est une énorme, une gigantesque, une colossale

… pour mieux dénoncer les défauts de la cité athénienne du temps que Platon, son bouquin étant l’occasion d’en faire la critique ! Et gnégnégné l’indiscipline civique, et gnégnégné l’avarice, et ainsi de suite ! La légende de l’Atlantide, et c’est quelque chose que les imbéciles crédules comme Planète RAW et consorts refusent d’admettre, ne repose sur aucun fait concret !
Mais comment voulez-vous faire comprendre ça à des complotistes qui ont décrété que leurs fantasmes étaient réels ? Eh bah, on ne peut pas, puisque la croyance aveugle n’admet pas la remise en question. Donc, on va appliquer leur propre logique jusqu’au bout et examiner en détail cette carte et ce que dit la légende, puisqu’apparemment les écrits de Platon sont à prendre au pied de la lettre et que c’est l’unique méthodologie des pyramidiots !
Et pour commencer, pourquoi prendre au sérieux la carte de Kircher alors que son bouquin mentionne des illustrations encore plus farfelues ? Parce que pour mémoire, Mundus Subterraneus, c’est aussi ça :

Qu’est-ce qu’on est censés en conclure du coup, que les dragons existent ? Ou alors il faut prendre au pied de la lettre certaines de ses illustrations et pas d’autres ?! Ca n’a aucun sens !

De plus, sur quoi se base-t-il pour tracer sa carte ? Parce que le Timée et le Critias ne contiennent pratiquement aucune description géographique digne de ce nom (mais on va y venir), évidemment AUCUNE illustration, et qu’à part ça, Kircher ne fait que mentionner des « sources égyptiennes » dont on ignore complètement ce que ça signifie !

D’ailleurs, à ce compte-là il existe tout un tas d’autres cartes de l’Atlantide, et qu’est-ce qu’on en fait du coup, on trie ? Et en fonction de quoi ?
A l’époque où Kircher a pondu ce dessin, des cartes, vous en trouviez de toutes les couleurs et sur à peu près tout les sujets, et vous n’en aviez aucune qui ressemblait à la précédente !
Mais passons. Qu’est-ce qu’il disait tout à l’heure, l’autre empaffé ? « en reprenant la carte d’Athanasius Kircher, et en mettant les deux cartes côte à côte, on se rend compte qu’apparaît la même forme! » (4:24) eh bien, on va regarder ça de plus près ?

Autant vous dire qu’on a plus vite fait de lister ce qui correspond que ce qui ne correspond pas : le seul truc qui a l’air de coller, c’est la forme générale de l’île, en un genre de… j’sais pas, un triangle patatoïdal transgénique ?! En réalité non, ça ne correspond même pas : la crique du sud-est n’existe pas, la côte du sud-ouest est beaucoup trop courte par rapport au plan, le déchiqueté des côtes de l’ouest au nord a l’air de correspondre à condition de regarder ça à travers une vitre à trois kilomètres de distance; deux îles à l’ouest n’existent pas, les deux montagnes non plus et à part une misérable petite dépression au sud de ce plateau sous-marin, il n’y a AUCUN des six cours d’eau mentionnés par la carte !
Donc autant vous dire que « bien que la précision de correspondance ne soit pas optimale« , c’est un joli euphémisme pour « complètement à la masse » !

Et Platon, qu’est-ce qu’il en dit, Platon ? Eh bien pas grand-chose, mais même le peu d’infos qu’il donne dans le Timée et le Critias ne correspondent absolument pas à ce qu’on a sous les yeux, en emplacement autant qu’en dimensions !
Concernant la description géographique qu’il fait de l’Atlantide, elle est en réalité extrêmement vague, floue, confuse, MYSTÉRIEUSE même. Jugez plutôt : on apprends que « il y avait au devant du détroit, que vous appelez les Colonnes d’Hercule, une île plus grande que la Libye et l’Asie » (Œuvres, 111), ce qui ne colle déjà pas avec ce plateau sous-marin qui n’atteint même pas les 70 kilomètres d’envergure au maximum. Et ensuite, on apprends que que « c’était une plaine située près de la mer et vers le milieu de l’île, la plus fertile des plaines. À cinquante stades plus loin, et toujours vers le milieu de l’île, était une montagne peu élevée » (Œuvres, 260).
… OK.
Donc, une colline pas ouf au milieu d’une plaine. Une description d’une redoutable précision, persiflerai-je, mais c’est mieux ensuite, car dans le Critias, oui parce que ces deux passages contenaient l’intégralité des détails géographiques sur l’Atlantide dans le Timée, le Critias donc, on lit que « Tout autour de la ville (d’Atlantide) régnait une plaine entourée elle-même d’un cercle de montagnes qui s’étendaient jusqu’à la mer ; sa surface était unie et régulière, sa forme oblongue ; elle avait d’un coté trois mille stades, et, depuis le centre jusqu’à la mer, au-dessus de deux mille. » (Œuvres, 269).
Ah, c’est déjà mieux. Un stade, c’est une unité de mesure antique qui a une sale tendance à varier entre 150 et plus de 200 mètres ; donc on va utiliser ici son occurrence la plus couramment retenue, à savoir le stade attique d’Athènes, qui fait 185 mètres; ce qui nous donne 185 mètres X 3000, soit 555 kilomètres de long sur 370 de large ! Un beau morceau donc, qui nous donne une île qui peut s’apparenter à la méga-louche à la taille de Terre-Neuve; mais de là à dire que c’est « plus grand que la Lybie et l’Asie » réunis, il y a un véritable gouffre à franchir, et dans les deux cas, ça ne colle absolument pas avec ce machin que Jan nous met sous le nez et dont la superficie est dix fois moindre !

Mais il y a pire, question incohérences ! Car dans le même récit, on peut lire que les habitants de l’île étaient « innombrables« , et surtout qu’elle possédait 60 000 divisions, chacune donnant, en cas de levée militaire, un chef, partant à la guerre avec -chacun- deux cavaliers, deux archers, deux frondeurs, deux fantassins lourds et deux légers, trois javeliniers et trois autres types chargés de balancer des pierres. (Œuvres, 271).
Ce qui fait donc pas moins de dix-sept personnes avec le chef, sans compter les quatre marins fournis pour une flotte de 1200 bateaux de guerre, ce qui fait donc d’Atlantide, si l’on résume, une superpuissance militaire capable de lever 10 000 chars de guerre, 1200 bateaux et 1 260 000 hommes en armes.
Et quand je dis 1 260 000 hommes, c’est juste pour les combattants ! Parce qu’à toute armée, il faut ajouter l’inévitable corps du train, c’est-a-dire les médecins, les artisans, les distributeurs de nourriture, les larbins pour tout transporter et j’en passe et des meilleures, auquel cas vous pouvez facilement multiplier par deux ces chiffres complètement délirants !
Et tout ça, rappelons-le, sur une île qui ne fait même pas 80 kilomètres de long ! A titre de comparaison, c’est quatre fois plus que les effectifs de l’armée perse à la bataille de Gaugamèles, quelques années après la mort de Platon, alors qu’eux avaient un empire vingt fois plus grand que cet îlot pourri ! C’est complètement absurde !
Donc, quid de cette carte complètement fumée qu’on nous montre plus haut ? Ce qui est sûr, c’est que jusqu’à preuve du contraire, Kircher l’a imaginée de A à Z, et quoi qu’il en soit, ce récif sous-marin n’est pas l’Atlantide.
Mais nous sommes si peu de choses face à l’avis de Jean-Michel de Reddit, que voulez-vous !
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Biblio:
Le récit du Timée, traduit par Victor Cousin.
Le récit du Critias, toujours traduit par Victor Cousin.
Sources bathymétriques sur Gebco.net
Et le site Géoportail.
l’illustration de Kirchner est tout en haut de la page Wikipédia sur l’Atlantide … et le type avait besoin d’aller sur Reddit pour trouver ça …
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