Ca faisait un moment que j’avais pas parlé de Pagans TV et de son promoteur, l’indétrônable Oleg de Normandie !
Jamais en retard quand il s’agit de raconter n’importe quoi, Oleg continue son infatigable combat contre la Science Officielle, et pour la reconnaissance du mythe de l’Hyperborée !
Et ce avec un article nommé « Les pyramides de Kola ! Hyperborée enfin retrouvée !?« , toujours avec le sensationnalisme claironnant qui caractérise ce genre d’individus. Ca ne prend que quelques minutes à lire et c’est toujours aussi drôle. Il aurait posté ce torchon à l’occasion de la reprise de fouilles archéologiques sur les pyramides de la péninsule de Kola, dans l’extrême nord russe, fouilles dont il est évidemment impossible de trouver la moindre trace nulle part, mais enfin c’est quelque chose de relativement complètement normal avec les complotistes.
Son truc est presque intégralement pompé sur cet article du site Privet Russia, un site russe qui ne parle que de Russie et dont je ne vais pas commenter outre mesure la crédibilité, sachant que les derniers articles parlent d’OVNIS, de signalements de yétis en Sibérie ou de ziggourats mystérieuses, je pense que ça se suffit à soi-même pour vous donner une idée de la chose !

Hormis ces fouilles, Oleg l’historien autoproclamé et lanceur de haches vikings en profite donc pour s’attarder sur une légende particulière, celle de l’Hyperborée, un de ses leitmotivs réguliers.
Revenons donc sur la question avec un petit topo rapide sur cette légende :
Il s’agit d’un mythe se rapportant à un peuple légendaire de la très haute antiquité, évidemment très ancien, très avancé, très sage, nageant dans une prospérité éternelle, qui vivait sur des terres fertiles où l’on trouvait l’or au fond des ruisseaux et la cocaïne au fond des naseaux, bref, c’est le bla-bla mythologique qu’à peu près n’importe quel auteur gréco-romain un peu bourré vous chantait à la guitare à la lyre pour égayer le dessert.
Les Hyperboréens étaient censé ne pas connaître la maladie, ni la faim, avoir une espérance de vie particulièrement élevée, et même côtoyer le divin, parce que plusieurs dieux et même des héros sont censés y habiter (comme Apollon) ou leur avoir rendu visite. Ce pays légendaire aux immensités de glace était vu dans l’imaginaire mythologique grec comme un paradis sur terre, et plus généralement comme une contrée pleine de mystères ; même Nietzsche en a parlé, c’est dire.
Vu que l’herbe est toujours plus verte chez le voisin et qu’on fait plus facilement rêver avec un ailleurs fantasmé qu’avec la perspective de rembaucher le lundi matin, cette légende fut racontée et reprise par une longue liste de poètes et d’historiens grecs (Apollodore, Hérodote, Pausanias, Diodore de Sicile, Héraclide, Hécatée, Pline l’Ancien, j’en passe et des meilleures) et situaient le pays des Hyperboréens dans le seul endroit où l’on savait qu’il y avait des terres, mais où personne n’avait envie d’aller s’y cailler les miches pour le vérifier, c’est-a-dire le grand nord, plus loin que les terres des peuples celtes.
Alors, étant donné qu’on parle ici d’une époque où le bout du monde était encore situé pas trop loin de chez soi, ça autorisait, dans les faits, une interprétation qu’on qualifiera pudiquement de vachement large, ce pourquoi on a, au fil des siècles, situé les Hyperboréens d’abord chez les Celtes, puis en Scandinavie, ou encore en Islande ou dans les îles Britanniques, bref un peu partout, du moment que c’est au nord ! Le mythe a repris de la vigueur à partir du XVIIIe siècle et a connu un gros succès en Suède, en Finlande, en Norvège et en Russie, vous devinez pourquoi, et mentionnons à ce propos que ce mythe d’origine du monde a même servi à nourrir les nationalismes locaux. Et même chez nous, il y en a eu pour perpétuer la légende, avec ce cher pyramidiot avant l’heure, j’ai nommé Robert Charroux, qui s’est mis à raconter à qui voulait l’entendre qu’en fait, les Hyperboréens descendaient d’une ancienne race d’astronautes aliens ayant atterri chez nous il y a 12 000 ans, et spécifiquement à cet endroit-là du globe et pas un autre, parce que les conditions climatiques devaient ressembler à celles de chez eux !
Je schématise, mais en gros, l’Hyperborée, c’est aux Russes ce que l’Atlantide était aux Grecs, Shambhala aux Hindous, ou l’Eldorado aux conquistadors. A tel point d’ailleurs, que le sanctuaire d’Apollon sur l’île de Délos recevait chaque année, dans le cadre d’une cérémonie religieuse, une offrande censée être envoyée depuis le pays des Hyperboréens !

Revenons maintenant à notre chauve préféré : probablement diminué par la quantité d’anabolisants qu’il s’avale tous les matins pour être NORSE-CRÉDIBLE-HEUÂÂÂRG, Oleg raconte donc l’histoire de la découverte de pyramides, dans la péninsule de Kola, située à l’extrême nord de la Russie, dans un coin où il ne se passait pas grand-chose ces derniers 30 000 ans, excepté une base de la marine soviétique très active durant la Guerre Froide qui envoyait quelques Octobre Rouge dans l’Atlantique de temps en temps pour emmerder l’Otan !
« Les archéologues » auraient donc retrouvé des « pyramides », au pluriel notez bien, dans cette région, ce qui prouverait l’existence d’une très ancienne civilisation sur le territoire russe.
Ben tiens.
Et blablabla, il raconte que « les scientifiques », et vous noterez comme le terme est systématiquement généraliste dans la bouche de ce genre de demeuré quand il s’agit de légitimer une de leurs âneries, auraient fait une expédition dans ces lieux, que d’après eux la péninsule serait le foyer de la plus ancienne civilisation terrestre.
D’ailleurs, il est intéressant de noter que « toutes les pyramides sont clairement positionnées par rapport au Nord« .
Moi, à ce stade-là de l’article, j’aimerais juste souligner qu’on ne sait toujours pas où sont situées ces foutues pyramides.
Parce qu’Oleg a bien mis une photo de ces pseudo-pyramides en en-tête :
… en fait des formations géologiques complètement naturelles qui n’ont rien d’anthropique, un peu comme les pyramides bosniennes que certains de nos piliers de bistrot nationaux pensent situer dans la vallée de Visoko en Bosnie…

…sauf que cette photo, là, eh ben, c’est pas en Russie.
D’ailleurs, Oleg le reconnaît lui-même à la toute fin de l’article :
« Attention après coup il se pourrait que la photo principale des deux grosses pyramides ne soit pas de la péninsule de Kola ! Quoiqu’il en soit il y a bien des pyramides sur le site, mais celle-ci sont peut-être moins impressionnantes que prévu…«
Du coup, on se demande bien où sont situées ces fameuses pyramides que tous les sites complotistes reprenant l’information clament haut et fort, d’autant qu’il y en a plusieurs et qu’elles sont absolument gigantesques, c’est dire si ça se dissimule facilement dans le paysage !
Mais, étonnamment…

… il est absolument impossible de trouver où que ce soit la moindre photographie de ces fameuses pyramides qu’on trouverait dans la péninsule de Kola, ni aucune mention de lieu-dit, ni coordonnée géographique, ni rapport de ces expéditions scientifiques qui sont censées avoir quadrillé la zone depuis un siècle, bref, rien, nada, QUE. DALLE.
Par contre, les « pyramides » de la photo ci-dessus, elles ne sont pas si difficiles que ça à trouver : ce sont deux des 339 montagnes que comptent… les îles Féroé, à 2000 kilomètres à l’ouest ! A mi-chemin entre l’Écosse, l’Islande et la côte norvégienne, dans un coin où ça caille environ douze mois sur douze, à tel point que presque personne n’a voulu y habiter (même pas les arbres d’ailleurs, donc il faut aimer la lande pelée si vous comptez y habiter un jour) en dehors de quelques moutons et d’une poignée de moines et de marins naufragés depuis le Ve siècle de notre ère !

L’île étant presque entièrement dépourvue de végétation et balayée continuellement par les vents de la mer du Nord, les montagnes subissent une érosion permanente, ce qui a tendance à leur donner un curieux profil en strates successives de couche de roche et effectivement, dans les plus de 330 montagnes que comptent ces îles, il y en a une ou deux qui finissent par ressembler de loin à une pyramide, enfin surtout à condition d’être complètement débile et de les photographier sous le seul angle possible pour que ça soit crédible aux yeux des pyramidiots, parce que sinon ça ressemblerait à ça :
Ai-je besoin de préciser qu’AUCUNE de ces montagnes n’est une construction anthropique ?
Et attendez, ça ne s’arrête pas là ! Parce qu’il n’y a pas que ces deux pyramides qui se sont mystérieusement paumées en route ! Oleg continue, et figurez-vous qu’à ces gigantesques pyramides, d’après lui, s’ajoutent :
– une route pavée de pierre de 2 kilomètres entre le lac Lovozero et le lac Seidozero.

– un amphithéâtre de pierre.
– des restes mégalithiques.
– un « observatoire astronomique type labyrinthe » (non, moi non plus je ne vois pas ce que ça veut dire).
– des tumulus géants.
– un « centre culturel ».
– des marches taillées.
– des géoglyphes.
– des vestiges d’installations de défense.
– des murs.
– un manuscrit en pierre.
– des ruines cyclopéennes.
– une bouteille d’huile
– deux éponges
– des raviolis
Ah pardon, la fin c’était ma liste de courses.

Bref, vous aurez compris qu’absolument aucun de tous ces machins ne se retrouve nulle part, que ça soit dans les environs du lac Lovozero ou du lac Seidozero, ni dans toute la péninsule de Kola, à part dans l’imagination de monsieur hahaha-si-je-fais-400-pompes-ma-mère-ne-me-prendra-plus-pour-un-loser, d’où l’absence totale de coordonnées géographiques ou de la plus petite mention de lieu-dit !
Mais Jefe, attendez ! Cette fois, Oleg a une source ! Regardez, il cite Barchenko !
Ah oui ! Alexander Barchenko, biologiste et fervent complotiste d’avant-garde des années trente, avait apparemment déjà entrepris d’aller visiter le coin, quelques années avant de se prendre douze balles dans la peau sur ordre de Staline quand on l’a accusé d’espionner au profit des rosbifs.
Ce type était un grand passionné de phénomènes anormaux et paranormaux au début du siècle dernier; il a étudié la biologie à l’université de Kazan et à celle de Tartu, en Estonie, avant de bosser à l’Institut Bekhterev après la révolution russe. Il a voyagé dans pas mal de pays et s’est épris d’ésotérisme, ce qui l’a mené a publier des articles sur la « transmission des pensées à distance » ou les effets expérimentaux des effets énergétiques, a faire une expédition dans la péninsule de Kola pour trouver des preuves de sa croyance dans l’Hyperborée, et il a même voulu en faire une autre pour chercher Shambhala dans les montagnes du Tibet !
Je vous vois ricaner, mais j’aimerais tout de même rappeler que tout ça c’est fait à une époque où la plupart des drogues dures étaient encore légales et achetables dans le commerce, donc ne vous moquez pas.
En tout cas, toujours est-il qu’au printemps 1922, Barchenko et quelques collégues se rendent dans la péninsule de Kola pour étudier les symptômes d’une maladie mentale répandue dans cette région au sein des populations samis. Outre leurs petites recherches, Barchenko aurait découvert par la même occasion les fameuses ruines et autres vestiges de constructions mystérieuses, mais mégalithiques quoi qu’il en soit, qu’il aurait immédiatement attribuées aux Hyperboréens, et daté de 12 000 ans, sur la base d’on ne sait pas quoi, et même fait une photo d’une section de voie pavée, celle dont on parlait plus haut !
Il est assez difficile de s’exprimer sur le bonhomme en-dehors de ses très, TRÉS fortes accointances avec tout ce qui transpire le paranormal et d’ailleurs, il n’est pas franchement connu en-dehors de Russie ; d’autant que les travaux issus de son expédition de 1922 ont été balancés et que peu après son retour, la Guépéou a déclaré qu’il racontait de la merde.
Donc forcément, pour Oleg ça veut dire que comme dans tout bon complot qui se respecte, l’ignoble gouvernement soviétique a fait taire le courageux chercheur avant de le faire exécuter tel Jésus sur sa croix, afin de protéger le Secret®.

Pour les gens qui ne reniflent pas de la colle au petit-déjeuner en revanche, ça veut dire qu’en l’absence de publications, d’études scientifiques ou plus généralement de données exploitables, il n’y a aucune preuve de l’existence de quoi que ce soit dans cette région qui remonte à une telle période. D’autant que d’après Barchenko, ces Hyperboréens avaient le secret de l’énergie atomique et de l’aviation, alors permettez-moi de douter qu’une civilisation ayant atteint un tel stade de développement industriel et technologique n’aie pas laissé la moindre trace, alors qu’à titre de comparaison toutes les réserves archéologiques de la planète dégueulent littéralement de vestiges de l’Antiquité !
Évidemment, le fait que les rares pages web qui relatent cette histoire de dingue soient systématiquement reliées à des sites complotistes ou au moins très branchés ésotérisme, ne fait rien pour leur donner un peu plus de crédibilité.
Il ne reste donc aucune preuve de la découverte de quoi que ce soit, aucune donnée exploitable ; et tout ce sur quoi on peut se rabattre, c’est sur ces pseudo-pyramides qui ne se situent pas dans la région comme on l’a montré plus haut, sur ces datations dont on ne voit pas du tout d’où elles peuvent bien sortir.
Ah, mais j’oubliais ! Il y a ça, aussi !
Ces grosses strates de roches fracturées par le gel sur les flancs des montagnes, et que les pyramidiots de tout poil prennent pour des ruines antiques, un peu comme les « ruines » sous-marine de Yonaguni dont on a déjà parlé, et quand bien même ça crève les yeux que ce ne sont absolument pas des blocs de pierre taillés vu l’irrégularité totale de leurs formes et de leurs lignes, et l’absence du plus petit plan au sol !
Pourtant, la région n’était pas inhabitée depuis la Préhistoire, et on y fait encore des recherches archéologiques (des vraies cette fois) : ici par exemple, cet article couvre les progrès sur la datation de pétroglyphes des populations samis antiques, retrouvés dans la région du lac Kanozero, dans le sud de cette région d’extrême nord de la Russie de l’ouest !

Les chercheurs de l’université de Saint-Pétersbourg auraient recensé plus de 1200 gravures représentants des personnages, des animaux, des scènes de chasse et de pêche et des symboles, le tout remontant au 5e millénaire avant notre ère !
En fait, dans cette région on trouve des traces de la présence de populations humaines depuis la fin du VIIe millénaire avant notre ère, c’est-a-dire le Mésolithique. Plus de 400 sites avaient été répertoriés et étudiés au cours du dernier siècle par les archéologues soviétiques et montrent que les groupes de chasseurs-cueilleurs étaient répartis dans toute la Fennoscandie, et que la densité de population a eu tendance a exploser aux environs du IVe millénaire avant J.C., à la faveur d’un réchauffement climatique, avant l’apparition de l’agriculture et la sédentarisation définitive des populations.

Avant cette période, les seules traces de la présence des hommes dans la région sont à rechercher dans la culture Komsa vers -10 000 avant J.C., un groupe de chasseurs-cueilleurs mésolithiques qui a vraisemblablement remonté les côtes de Scandinavie vers le nord au fur et à mesure de la fonte des glaciers, en chassant le phoque et le renne. Des gens très persévérants au vu des conditions climatiques très exigeantes de ces régions, mais en tout cas, aucun d’entre eux ne se déplaçait en avion à réaction ni ne construisait de pyramides !
Alors, quelles conclusions tirer de tout ça ? On l’aura compris, les théories d’Oleg-trois-poils-sur-le-caillou, c’est de la merde en barres. Mais concernant sa seule et unique source, Barchenko, il faut y mettre beaucoup du vôtre pour espérer que ce type a vu quoi que ce soit de concret il y a un siècle lorsqu’il s’est baladé dans le coin, et en tout cas, il faut partir du principe que le NKVD, qui n’avait probablement que ça à foutre on s’en doute, a fait brûler toutes ses recherches, zigouiller tous les participants, passé toutes les ruines, les pyramides, les observatoires, les routes et les labyrinthes au bulldozer et planté des arbres en plastique dessus pour faire illusion.
Personnellement, je penche plutôt pour l’hypothèse qu’il a forcé sur l’eau-de-vie locale et qu’il est un jour tombé sur des pétroglyphes et quelques blocs de pierre fendus de manière plus ou moins rectiligne, et qu’il a fantasmé le reste, comme toujours avec les pyramidiots.
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Bibliographie :
- Un article d’Abacus relayé par Irna, qui approfondit le sujet sur les pyramides naturelles que les complotistes pensent voir un peu partout, non seulement dans la péninsule de Kola mais un peu partout en Europe de l’est.
- Hyperborée. Fragments de cosmographie grecque, Renaud Gagné, École pratique des hautes études, 2019.
- De l’ésotérisme politique ? Les symboles de l’Hyperborée dans la nouvelle formation discursive russe, Sergeï Tchougounnikov in La Revue russe, 2009, pp. 171-182.
- Remarques sur l’Hyperborée en liaison avec quelques aspects de la religion celte, Gérard Poitrenaud, Cycle et Métamorphoses du dieu cerf, 2014.
- Boréalisme. Le Nord comme espace discursif, Sylvain Briens, in Études Germaniques, 2016, pp 179-188.
- Archaeologists Confirm Exact Age Of Petroglyphs On Russia’s Kola Peninsula, Archeology News Network, 2018.
- Main stages in the cultural development of the ancient population of the kola peninsula, N.N. Gurina, Académie des Sciences de l’URSS, 1987.
- Prehistoric population history in eastern Fennoscandia, M. Tallavaara, P. Pesonen & M. Oinonen, in Journal of Archeological Science, 2010.